Quelles étaient les raisons historiques de la réticence à reconnaître la transmission par voie aérienne pendant la pandémie de COVID-19 ?

La question de savoir si le SARS-CoV-2 se transmet principalement par gouttelettes ou par aérosols a suscité de vives controverses. Nous avons cherché à éclaircir cette controverse par une analyse historique des recherches sur la transmission d'autres maladies. Pendant la majeure partie de l'histoire de l'humanité, le paradigme dominant était que de nombreuses maladies étaient véhiculées par l'air, souvent sur de longues distances et de manière parfois fantasmagorique. Ce paradigme miasmatique a été remis en question au milieu et à la fin du XIXe siècle avec l'avènement de la théorie des germes, et la découverte que des maladies comme le choléra, la fièvre puerpérale et le paludisme se transmettaient en réalité par d'autres voies. Motivé par l'importance qu'il accordait à la transmission par contact/gouttelettes, et face à la résistance persistante de la théorie miasmatique, Charles Chapin, éminent responsable de la santé publique, a contribué en 1910 à initier un changement de paradigme décisif, jugeant la transmission par voie aérienne très improbable. Ce nouveau paradigme est devenu dominant. Cependant, la méconnaissance des aérosols a conduit à des erreurs systématiques dans l'interprétation des données de recherche sur les voies de transmission. Pendant les cinq décennies suivantes, la transmission par voie aérienne a été considérée comme négligeable ou mineure pour toutes les principales maladies respiratoires, jusqu'à la démonstration de la transmission aérienne de la tuberculose (alors que l'on pensait à tort qu'elle se transmettait par gouttelettes) en 1962. Le paradigme contact/gouttelettes est resté dominant, et seules quelques maladies étaient largement reconnues comme transmissibles par voie aérienne avant la COVID-19 : celles qui se transmettaient clairement à des personnes ne se trouvant pas dans la même pièce. L'accélération de la recherche interdisciplinaire, inspirée par la pandémie de COVID-19, a montré que la transmission par voie aérienne est un mode de transmission majeur pour cette maladie, et qu'elle est probablement importante pour de nombreuses maladies infectieuses respiratoires.

Implications pratiques

Depuis le début du XXe siècle, la transmission des maladies par voie aérienne a rencontré une certaine résistance, ce qui s'est avéré particulièrement préjudiciable durant la pandémie de COVID-19. Cette résistance s'explique en grande partie par l'histoire de la compréhension scientifique de la transmission des maladies : longtemps considérée comme le mode de transmission dominant, la transmission par voie aérienne a connu une évolution radicale au début du XXe siècle. Pendant des décennies, aucune maladie importante n'a été perçue comme aéroportée. En éclairant cette histoire et les erreurs qui y sont ancrées et qui persistent encore, nous espérons contribuer aux progrès futurs dans ce domaine.

La pandémie de COVID-19 a suscité un débat intense sur les modes de transmission du virus SARS-CoV-2, qui font principalement l'objet de trois modes : premièrement, la transmission par contact avec des gouttelettes en suspension dans l'air, projetées sur les yeux, les narines ou la bouche, qui retombent ensuite au sol à proximité d'une personne infectée ; deuxièmement, la transmission par contact, soit directement avec une personne infectée, soit indirectement par contact avec une surface contaminée (objet contaminé), suivi d'une auto-inoculation par contact avec l'intérieur des yeux, du nez ou de la bouche ; troisièmement, la transmission par inhalation d'aérosols, dont certains peuvent rester en suspension dans l'air pendant plusieurs heures (transmission par voie aérienne).1,2

Les organismes de santé publique, dont l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), ont initialement déclaré que le virus se transmettait par de grosses gouttelettes retombant au sol à proximité d'une personne infectée, ainsi que par contact avec des surfaces contaminées. Le 28 mars 2020, l'OMS a affirmé catégoriquement que le SARS-CoV-2 ne se transmettait pas par voie aérienne (sauf dans le cas de procédures médicales très spécifiques générant des aérosols) et que toute affirmation contraire relevait de la désinformation.3Cet avis était en contradiction avec celui de nombreux scientifiques qui affirmaient que la transmission par voie aérienne était probablement un facteur important. Par exemple, réf.4-9Au fil du temps, l’OMS a progressivement assoupli cette position : d’abord en admettant que la transmission par voie aérienne était possible mais peu probable ;10puis, sans explication, promouvoir le rôle de la ventilation en novembre 2020 pour contrôler la propagation du virus (ce qui n'est utile que pour contrôler les agents pathogènes aéroportés) ;11puis déclarant le 30 avril 2021 que la transmission du SARS-CoV-2 par aérosols est importante (sans toutefois utiliser le terme « aéroporté »).12Bien qu'un haut responsable de l'OMS ait admis dans une interview à la presse à cette époque que « la raison pour laquelle nous préconisons la ventilation est que ce virus peut se transmettre par voie aérienne », il a également déclaré avoir évité d'utiliser le mot « transmission par voie aérienne ».13Finalement, en décembre 2021, l’OMS a mis à jour une page de son site web pour indiquer clairement que la transmission par voie aérienne à courte et longue distance est importante, tout en précisant que « transmission par aérosol » et « transmission par voie aérienne » sont synonymes.14Cependant, mis à part cette page web, la description du virus comme étant « aéroporté » reste presque totalement absente des communications publiques de l'OMS en mars 2022.

Les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) aux États-Unis ont suivi une voie parallèle : d’abord, en soulignant l’importance de la transmission par gouttelettes ; puis, en septembre 2020, en publiant brièvement sur son site web une acceptation de la transmission par voie aérienne qui a été retirée trois jours plus tard ;15et enfin, le 7 mai 2021, en reconnaissant que l’inhalation d’aérosols est importante pour la transmission.16Cependant, le CDC utilisait fréquemment le terme « gouttelette respiratoire », généralement associé à de grosses gouttelettes qui tombent rapidement au sol.17pour désigner les aérosols,18créant une confusion considérable.19Aucune des deux organisations n'a mis en avant ces changements lors de conférences de presse ou de grandes campagnes de communication.20Au moment où ces aveux limités ont été faits par les deux organisations, les preuves de la transmission par voie aérienne s'étaient accumulées, et de nombreux scientifiques et médecins affirmaient que la transmission par voie aérienne n'était pas seulement un mode de transmission possible, mais probablement le mode de transmission principal.prédominantmode.21En août 2021, le CDC a déclaré que la transmissibilité du variant delta du SARS-CoV-2 se rapprochait de celle de la varicelle, un virus aéroporté extrêmement transmissible.22La variante omicron apparue fin 2021 s'est avérée être un virus à propagation remarquablement rapide, présentant un taux de reproduction élevé et un intervalle sériel court.23

L’acceptation très lente et désordonnée des preuves de la transmission du SARS-CoV-2 par voie aérienne par les principales organisations de santé publique a contribué à un contrôle sous-optimal de la pandémie, alors que les avantages des mesures de protection contre la transmission par aérosol sont de plus en plus établis.24-26Une prise en compte plus rapide de ces données aurait favorisé l'élaboration de recommandations distinguant les règles pour l'intérieur et l'extérieur, une plus grande attention portée aux activités extérieures, une recommandation plus précoce du port du masque, une insistance accrue et plus rapide sur l'ajustement et la filtration des masques, ainsi que des règles concernant le port du masque à l'intérieur, même lorsque la distanciation sociale est possible, la ventilation et la filtration. Cette prise en compte plus rapide aurait permis de privilégier ces mesures et de réduire le temps et l'argent excessifs consacrés à des mesures telles que la désinfection des surfaces et les cloisons latérales en plexiglas, peu efficaces contre la transmission par voie aérienne et, dans le cas de ces dernières, potentiellement contre-productives.29,30

Pourquoi ces organisations étaient-elles si lentes et pourquoi y avait-il tant de résistance au changement ? Un article précédent a examiné la question du capital scientifique (intérêts acquis) d’un point de vue sociologique.31Éviter les coûts associés aux mesures nécessaires pour contrôler la transmission par voie aérienne, comme par exemple de meilleurs équipements de protection individuelle (EPI) pour les professionnels de la santé32et une ventilation améliorée33Cela a peut-être joué un rôle. D'autres ont expliqué ce retard par la perception des risques associés aux masques N95.32qui ont toutefois été contestées34ou en raison d'une mauvaise gestion des stocks d'urgence, entraînant des pénuries dès le début de la pandémie. Par exemple, voir réf.35

Une explication supplémentaire, non abordée dans ces publications mais parfaitement cohérente avec leurs conclusions, est que l'hésitation à envisager ou à adopter l'idée d'une transmission aéroportée des agents pathogènes était due, en partie, à une erreur conceptuelle introduite il y a plus d'un siècle et profondément ancrée dans les domaines de la santé publique et de la prévention des infections : le dogme selon lequel la transmission des maladies respiratoires est causée par de grosses gouttelettes, et que, par conséquent, les mesures de réduction de la transmission par gouttelettes seraient suffisantes. Ces institutions ont également manifesté une réticence à s'adapter, même face aux preuves, conformément aux théories sociologiques et épistémologiques expliquant comment les personnes qui contrôlent les institutions peuvent résister au changement, surtout s'il menace leur propre position ; comment la pensée de groupe peut opérer, en particulier lorsque les individus sont sur la défensive face à la contestation extérieure ; et comment l'évolution scientifique peut se produire par le biais de changements de paradigme, même si les défenseurs de l'ancien paradigme refusent d'admettre qu'une théorie alternative soit mieux étayée par les preuves disponibles.36-38Ainsi, pour comprendre la persistance de cette erreur, nous avons cherché à explorer son histoire, et celle de la transmission des maladies par voie aérienne en général, et à mettre en évidence les principales tendances qui ont conduit à la prédominance de la théorie des gouttelettes.

Provenance : https://www.safetyandquality.gov.au/sub-brand/covid-19-icon

 


Date de publication : 27 septembre 2022